Ses adversaires, Muhammad les combattit avec vigueur et détermination, estimant que lorsque la prédication et l'exhortation ne suffisaient pas à les ramener à de meilleurs sentiments, il était parfaitement légitime de s'en débarrasser par la force ou la ruse, afin de parvenir au but assigné par Allâh et Sa faction. La Révélation signale que Muhammad est le sceau des prophètes. Les précédents Envoyés avaient prêché, et quelquefois convaincu, se servant de miracles et de paroles divines. Le Sceau des prophètes venait, lui, avec la Parole définitive, mais aussi avec le Sabre. Ultima ratio phrophetis... Aspect totalisateur qui n'a pas manqué de laisser une forte empreinte tant sur la pensée que sur la psychologie des adeptes de l'Islam.
L'homme consacra une notable partie de son activité médinoises aux entreprises guerrières. Ce ne fut pourtant pas un grand soldat. Fait significatif : les premières biographie du Prophète ont été intitulées Magâzî("campagnes", "expéditions"). Titre doublement révélateur du caractère guerrier de la carrière de Muhammad, et des préoccupations du Proto-ISLAM, époque à laquelle furent rédigées ces oeuvres. Les Magâzi ont, d'ailleurs constitué avec les sages tribus arabes les premiers jalons de la littérature arabe.
Pour vaincre certaines réticences et enflammer l'enthousiasme de ses hommes, Muhammad eut l'intelligence d'attribuer un caractère sacré aux initiatives guerrières de la jeune Communauté; faisant de chacune des expéditions un devoir religieux, une "guerre de Dieu". Il dégageait ainsi le gihâd de la vendetta arabe, lui ôtant tout caractère familial, et en faisant un attribut de l'Etat. Si, comme l'a si bien remarqué le philosophe Alain, "toute guerre est une guerre de religion", l'Envoyé d'Allâh eut une grande intuition, base de son succès : assimiler l'activité offensive qu'il mena, l'exaltation des vertus guerrières et du sabr arabes, jusques et y comprisle miroitement du butin, à la transcendance du "combat dans la Voie d'Allâh" et à la béatitude de l'Au-delà. La fermeté et l'endurance si chères aux poètes de l'anté-Islam devenaient fermeté et endurance dans la lutte pour faire triompher la Parole du Seigneur. Nous y reviendrons. La plupart des coupes de main du début pouvaient avoir été déterminés essentiellement pour des raisons économiques, puis vinrent les grandes entreprises que commandaient les objectifs politico-religieux de l'Apôtre. Ainsi, par une subtile évolution, la razzia avait progressivement pris figure de" combat dans la voie d'Allâh", de gihâd; et celui-ci, de moyen, n'avait pas tardé à se transformer en fin. Sur des modèles anté-islamiques, de nouveaux dessins furent formés. A cet égard, Muhammad fut, indéniablement, le fondateur de l'idéologie conquérante qui allait devenir, infléchie par le cours des événements du premier siècle musulman, le combat expansionniste pour "la conquête des pays". Mais pragmatique dans ce domaine comme dans tant d'autres, le Prophète agit et enseigna, à mesure des circonstances, et se montra brillant diplomate, faisant alterner promesses et menaces le long de l'axe commercial reliant la Mekke à la Syrie, pour étendre pacifiquement son emprie et s'imposer à Qurays.
[...]
A sa mort, il était parvenu, grâce à la Guerre Sainte qu'il avait prônée dans la Prédication, à souder par l'épreuve des armes la jeune Communauté musulmane, et à étendre la Foi sur de vastes régions de la Péninsule. Mais celle-ci n'était pas entièrement soumise, tant s'en faut !La Révélation n'était pas réunie en un corpus admis par tous. La tâche d'achever l'unification de l'Arabie, de codifier la Foi et d'édifier un Etat musulman, restait encore à faire.
"L'Islam, a dit William Marçais, a trouvé la guerre à son berceau. Il a dû combattre dès son origine, pour triompher et imposer par la force la vérité nouvelle qu'il apportait. Ceci a pesé d'un poids singulièrement lourd sur sa destinée."
Alfred Morabia, Le Gihad dans l'Islam médiéval, Albin Michel,1993pp.72-75
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire