jeudi 5 octobre 2006

Elaboration des textes islamiques : le cas de la figure abrahamique

A partir de la figure d’Abraham(ancêtre revendiqué par les trois monothéismes), nous allons voir comment l’histoire de cette figure va évoluer dans la religion islamique et plus généralement comment la doctrine islamique est le fruit d’une construction empirique et pragmatique.
Ce processus de construction de l’image de l’Abraham islamique peut être découpé en deux phases.
Dans un premier temps, elle s’établit du temps de mahomet. Celui –ci enrichissant la figure d’Abraham au fur et à mesure de ses polémiques avec les autres monothéistes.(cf. les nombreuses sourates où ces polémiques se devinent en filigrane dans le coran)
Dans un deuxième temps, l’histoire finale d’Abraham telle que la reconnaît l’islam va se fixer définitivement à partir de l’apport des penseurs musulmans postcoraniques.
A ce titre, l’étude de l’élaboration de l’Abraham islamique met précisément en relief à la fois les forces et les faiblesses de cette construction intellectuelle. Si elle nous renseigne sur le travail considérable effectué par les penseurs musulmans postcoraniques dans la construction d’une théologie islamique, elle met en exergue les contradictions qui existent entre le coran de mahomet et la construction des auteurs postcoraniques.


Abraham et le prophétisme coranique.


I L’Abraham du Coran

1-1 Le premier Abraham du Coran
Abraham, en arabe Ibrâhîm, apparaît comme figure prophétique en même temps que Moïse , Mûsa, dans une révélation coranique manifestement ancienne, Coran sourate LXXXVII, al- A’lâ, 19
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; sa figure est déjà devenue autonome par rapport aux récits bibliques, elle n’est cependant pas encore liée au site mekkois.
Cette évolution se fait plus tard et en plusieurs étapes.



1-2 Le deuxième Abraham du coran : le lien d’ Abraham à la mekke
Le premier thème qui lie Abraham à la cité mekkoise semble être celui de la mise à l’abri de sa <>, dhurriyya, qui n’est pas autrement identifiée, à la Mekke, <> coran XIV ,Ibrâhîm, 35,37,
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La représentation coranique d’Abraham comme sacralisateur du site mekkois et fondateur de rite paraît plus tard encore dans le Coran, sourate II, al-Baqara, 125-130 ;(On voit encore une fois que le coran de mahomet considère la mecque comme une<> ou balad âmin, dans sourate 2 al –Baquara,126)
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Dans quel contexte se construit cette évolution ?
Certains passages réfèrent clairement à une polémique avec les juifs médinois, auxquels répond la thématique du Hanifisme abrahamique. Ibrâhîm est vu comme un hanîf c’est –à-dire un « croyant originel ». Il désigne les monothéistes qui, avant l'Islam, condamnaient les cultes païens, sans toutefois être ni juif, ni chrétiens. ( Ibrâhîm hanîf : Coran, sourate XVI, an – Nahl,118,120
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et sourate III, Âl, Imrân, 65,67

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La théorie du hanifisme permet à l’islam de Mahomet d’échapper à l’hérédité de déviance qu’il dénonce chez les juifs médinois.(Rappel : Abraham était loin de pratiquer un monothéisme stricte. Les érudits parlent d’hénothéisme abrahamique)
Il peut ainsi se raccrocher directement aux prophètes fondateurs largement évoqués dans le coran, Noé(Nûh), Abraham et Moïse.
Pour ce qui concerne les périodes postérieures de la chronologie thoraïque et biblique, le coran dans diverses sourates de la période mekkoise tardive et de la période médinoise, se limite à citer les seules figures du royaume unifié des Hébreux, Saül, Tâlût, David, Dawûd et Salomon(Sulaymân), sans aller au-delà. Il omet ensuite les grands prophètes historiques de l’Ancien –Testament comme Jérémie ou Isaïe. Seuls quelques prophètes mineurs comme Elisée, al-Yâsu , sont cités sans commentaire, en même temps que la généalogie très simplifiée et nom commentée des douze tribus, al-asbât. Vient ensuite directement la figure de <> , Isâ’b , Maryam.









II De l’Abraham de mahomet à l’Abraham des penseurs musulmans postcoraniques

Nous avons vu comment le coran de Mahomet présente la Mecque comme un lieu de refuge pour la famille d’Abraham.
Or, cette représentation coranique entre en contradiction totale avec le récit de la tradition musulmane qui se dit à partir de l’épisode de Hâdjar(Agar), laissée seule au désert, après sa fuite loin de la maison d’Abraham.(1)
Cet épisode présente le site mekkois non comme un lieu de refuge, mais comme un lieu de péril, avant que n’y accomplisse le miracle de l’eau jaillissante. ( thème traditionnelle de l’eau providentiel dans un milieu désertique)

Dans ces récits postcoraniques, la mère d’Ismâ’il, abandonné de tous, est représentée comme courant et suppliant entre deux monticules sacrés du val mekkois, situés à l’est de la Ka’aba(al Safâ au sud est et al-Marwa au nord est qui sont toujours objet de culte on reviendra plus tard sur ces deux points).
L’ eau de Zamzam jaillit, sur intervention de l’ange Gabriel, alors que Hâdjar est sur le point de mourir de soif avec son jeune fils. Une des références médiévales classiques à ce récit postcoranique est à retrouver dans as - Sîra an-nabawiyya, compilée par Ibn Ishâm.( cf . I,16 le passage intitulé Ishâra ilâ dhikr ifhtifâr zamzam ou récit concernant le creusement de Zamzam). (1)
De même, les prophètes Jérémie et Isaïe seront réintroduits par la tradition musulmane postcoranique

III- Analyse et conclusion
Nous l’avons vu la figure d ‘Abraham en islam a subi plusieurs transformations. L’Abraham de mahomet est différent voire contradictoire avec l’abraham des récits des auteurs postcoraniques.
Essayons de rationaliser les causes de ces contradictions.(ce n’est qu’une tentative d’explication)
Le coran de mahomet est le fruit d’un travail empirique. Il ne répond pas à une idéologie près- définis fixant une fois pour toute la religion islamique. Au contraire, le coran de mahomet s’élabore petit à petit, laissant entrevoir en filigrane les tribulations de mahomet.
En effet, la profession de prophète à cette époque est très répandue.(nous verrons par la suite comment mahomet va s’occuper pour faire taire la concurrence et récupérer les parts de marché des croyants à son profit). Or, l’espace de la prédication de mahomet est un immense patchwork de croyance allant du polythéisme stricte, à l’hénothéisme au monothéisme plus ou moins stricte(biblique ou <> Je reviendrais sur ce foisonnement religieux dans un autres post. ce qui est sur c’est que cet espace n’ignore pas du tout le judaisme ou le christianisme et que mahomet connaît ses religions )
Pour être crédible aux yeux de ses populations, l’apprenti prophète se doit de montrer qu’il est véritablement celui qu’il prétend être c’est-à –dire un prophète mais pour mahomet cela ne se fait pas sans mal(Les imprécations de mahomet à l’adresse de son auditeur démontre bien les difficultés à convertir les populations à son idéologie et les accusations pleuvent sur sa personne)
Il est donc salvateur pour lui de s’inscrire dans une lignée prophétique pour accroître sa légitimité en tant que prophète et la charge sacrale de son discours en tant qu’envoyé d’un dieu. Il va donc mobiliser à son profit les connaissances qu’il a des différentes religions bibliques (mais pas seulement car l’on retrouve aussi des bribes d’histoire hedjazique dans le coran) pour convaincre son auditoire(La politique de séduction des autres croyants bibliques peut aller jusque dans l’adoption des rites(notamment pour séduire les tribus juives médinoises. Cf. l’adoption du shabbat au début de l’époque médinoise, les interdits alimentaires, la direction du lieu de culte etc)
Il acquiert ses connaissances soit directement(Au cours de ses voyages notamment en syrie ;, les dernières recherches en ce domaine laissent entendre qu’il a pratiqué une politique active de recherche de manuscrits cf. aussi le hadith sur la fameuse réception d’écrits syriaque ou les accusations de plagiats ou de mensonges que prononcent les koraichites à son encontre que l’on retrouve dans le coran par exemple dans la sourate 16 les abeilles verset 105
http://www.ribaat.org/modules.php?name=Coran&whereiam=search&sr=16&pg=101 ou sourate 6 les troupeaux verset 25 http://www.ribaat.org/modules.php?name=Coran&whereiam=search&sr=6&pg=21 )
soit indirectement (par zyad notamment élevé dans une école rabbinique ou son cousin voire khadidja et son entourage sensibilisés à une forme de christianisme mais aussi par les polémiques qu’il aura avec ses différents interlocuteurs)

Mais on le voit ses références à l’histoire biblique sont assez limitées. Cette pauvreté doctrinale posait plus ou moins de problèmes pour convertir des populations sensibles aux différents courants religieux mais peu au fait des subtilités doctrinales des différents monothéismes. En revanche, la conquête de pays contenant de fortes populations connaissant mieux la tradition biblique multiplie les polémiques et les mises en exergue des faiblesses doctrinales du coran. Il devient donc vital pour les penseurs islamiques postcoraniques d’enrichir le corpus doctrinal islamique de nombreuses références bibliques afin de faire face à l’argumentaire fixée depuis des siècles des contradicteurs juives et chrétiens.

Il s’ensuit une course à la référence biblique( On peut dire que quasiment l’ensemble de ce qu’on pourrait appeler la première partie de l’œuvre de ibn ichâm sur mahomet est composé de récits bibliques ou paiens reformulés dans une perspective apologétique de l’islam) pour démontrer le bien fondé de l’idéologie de mahomet qui débouche parfois sur des contradictions(cf notre démonstration sur la figure d’abraham) voire sur des aberrations chronologiques(cf ibn ichâm I,222-232 où l’on voit mahomet être un contemporain de jésus )
(1) Rappel ;.L’Agar biblique, femme- esclave egyptienne d’abraham, mère d’Ismaël avait été chassée de la maison de son maître Abraham pour permettre à l’alliance mythique d’une tribu et de son protecteur divin de se fonder dans le respect de la pureté de lignage cf Genèse 16,21)