mercredi 27 décembre 2006

Analyse de la constitution de l'Etat islamique par Ichem Djait

Loin de l'idéologie victimisante professée par nombres d'apologètes musulmans-ceux dont le jugement est influencé subjectivement ou non par l"hégémonie" occidentale-, l'analyse de l'historien musulman Ichem Djait met en exergue les tenants et les aboutissants de la constitution de l'Etat islamique par Mahomet. D'après l'auteur, le prophète a délibérément voulu la confrontation totale avec ses concurrents religieux et/ou politique. La guerre devient un élément essentielle pour mener sa politique impérialiste et constituer progressivement un Etat. En devenant un prophète-guerrier, Mahomet transforme la nature de l'islam. La doctrine religieuse ne pourra plus s'affranchir du cadre étatique, pas plus que ce dernier ne pourra s'émanciper complétement du poids du logos de la nouvelle religion.




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L’état islamique s’est constitué en trois étapes : la première au moment de l’hégire quand a émergé un pouvoir prophétique ; la deuxième en l’an 5 H , après le siège de Médine ou Khandaq, quand ce pouvoir a acquis les principaux attributs de l’Etat,(....),la troisième après la mort du Prophète avec Abû Bakr quand l’Etat islamique a montré qu’il pouvait réduire par la force toute dissidence. Sans doute parmi les fondements de ce Etat faut-il citer l’autorité suprême de Dieu, le charisme prophétique , la constitution d’une communauté de solidarité ou Umma, l’éclosion et l’instauration d’une législation, l’apparition d’un rituel unificateur. Il s’agit là des éléments constructifs de l’Etat, qui donnent au premier noyau sa cohésion.




Mais envisagé au niveau de toute l’arabie et par sa relation avec l’extérieur, cet Etat s’est bâti sur la guerre, sur la constitution d’une force d’intervention qui allait être l’instrument réel de l’expansion de l’Etat islamique.(....)
Dieu a ordonné la guerre à son prophète nous dit la Tradition, (...)L’émigration hors de la Cité Impie, la rupture avec le milieu tribal, s’est conjuguée avec un tournant majeur dans la conception même de la prophétie convertie désormais à la politique et à la guerre. (...)
l’initiative offensive, très rapidement, allait se révéler comme la raison d’être de cette cité, et de même la constitution d’une force de frappe (....)
La bataille de Badr, la manière dont toute l’affaire a été menée, prouve bien que le Prophète avait l’intention, lors de la deuxième aqaba, de déclarer la guerre à Quraysh, une guerre ininterrompue, et qu’il ne s’agissait nullement d’un pacte de défense.(...) A Badr, on remarque que le butin est devenu un élément déterminant pour entraîner les hommes.
La bataille de Badr va consolider le pouvoir d'arbitrage du prophète à Médine et lui permettre de lancer de manière assurées l'action guerrière. Elle le montre, vis-à-vis des autres Arabes, sous le visage d’un challenger de la puissance qurayshite. Enfin, elle va lui permettre de préciser sa politique vis-à-vis des juifs : en individualisant l’islam comme religion, et en faisant des juifs une cible. A chaque crise guerrière(Badr, Uhud, Khandaq, Hudaybiya), les juifs vont payer le prix fort non seulement parce qu’ils sont le témoin négateur vivant mais aussi pour alimenter en butin. ceux qui suivent le Prophète et le nouveau pouvoir en formation lui-même. D’où l’expulsion des B. Qaynuqa, plus tard celle des B. Nadir, plus tard encore le massacre des B. qurayza, enfin la prise de Kaybar. La bataille d'Uhud n'était rien d'autre que la réplique de celle de Badr et sa revanche pour les Qurayshites. Du côté de l'Etat islamique naissant, elle démontra une remarquable capacité de résistance. Le prophète pouvait aussi mobiliser plus d'hommes et étendre sa sphère d'influence. A côté des tribus de Juhayna et de Muzayna, il réussit à satelliser celle de Khuza'a, ancienne gardienne de la Ka'aba, détrôné par Quraysh depuis Qusayy, mais vivant dans la mouvance de la Mecque. Sans l'islamiser encore, sauf par quelques individus, cette tribu va montrer sa solidarité agissante envers le prophète : elle entre dans son système d'alliances, joue un rôle diplomatique et d'espionnage.

Expansionnisme en germe vers le monde bédouin du Najd, diplomatie, confiscation des biens juifs des B. Nadir et rôle distributeur de butin de l'Etat caractérisent cette phase transisiton qui se place entre Badr et le Khandaq.[...]
Plus que jamais, l’Etat islamique en formation tend à devenir un Etat-butin, se pliant aux lois de la guerre de la péninsule, mais avec une détermination et une régularité inusitées dans les guerres intertribales
Surtout, l’épisode du massacre froid et rationnel des B. Qurayza va inaugurer une violence d’Etat et de guerre véritable, absolument inédite en Arabie et qui dérive des pratiques de l’Orient ancien : massacre de la totalité des hommes, mise en esclavage des femmes et des enfants. La violence bédouine n’avait pas cette allure systématique, cette détermination, cette organisation et elle ne se déployait pas à si grande échelle. L’élément étatique intervient mais aussi le secours de l’idéologie religieuse, avec la vision claire d’un avenir à défendre et à qui il faut sacrifier, massivement des vies humaines. L’émergence de ce type de violence organisée va saisir de stupeur les Arabes en général et Quraysh en particulier
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Ichem Djait La grande Discorde, religion et politique dans l’islam des origines, gallimard, 1989, p. 39 -41

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Je voudrais vous informer de la publication, cette semaine, en tunisie, de "La grande Discorde, religion et politique dans l’islam des origines". qui est épuisé dans sa version Gallimard depuis deux ans...