Les chevaux et les chameaux, animaux nobles, étaient interdits aux dhimmis. Ceux-ci devaient se contenter d’ânes, dont l’usage à certaines époques ne fut permis qu’à l’extérieur des villes. Seuls des bâts en guise de selles, munis d’étriers grossiers en bois furent autorisés :
« L’infidèle, sujet de notre Souverain, ne saurait monter à cheval, mais
l’âne ou le mulet lui sont permis quelle qu’en soit la valeur ; il doit se
servir d’un ikâf[bât] et d’étriers en bois, car les étriers en fer lui sont
défendus aussi bien que la selle ; sur le chemin il doit se ranger de côté pour
laisser passer un Musulman ; on ne saurait le traiter en personnage
d’importance, ni lui donner la première place dans une réunion »
Nawawi, III Minjâd p.285.
Cet aspect de la soumission est bien remarqué par les différents voyageurs occidentaux visitant les terres d'islam. D'autant plus que cette pratique s'applique à leur personne.
"Et il y a une coutume en Syrie, que nul Chrétien qui soit connu n’ose
aller à cheval parmi les rues des villes. Pour cette cause, notre[moucre] nous
fait descendre messire et moi."
Bertrandon de la Broquière Le voyage d'outremer de Bertrandon de La Broquière, premier écuyer tranchant et conseiller de Philippe le Bon, duc de Bourgogne publ. et annot. par Ch. Schefer, Paris, Leroux, 1892 p.32-33
Disponible en version originale[vieux français] http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1037921/f116.table
Quelques siècles plus tard, une expédition diplomatique du roi de France est soumis à ce même régime humiliant.
"M. Begue monta à cheval le demain de grand matin. Ses officiers étaient sur
des mulets, tous les autres sur des ânes ; c’est le cérémonial de l’Egypte. Il
n’est permis qu’aux Consuls d’avoir un cheval ; encore faut-il que le Pacha le
leur donne, ou le leur prête. Ses officiers par grâce ont des mulets, et tout le
reste de quelque qualité qu’ils soient n’ont que des ânes, voiture à la vérité
assez commode ; mais qui marque le mépris que les Turcs font des Chrétiens et
des juifs , qu’ils traitent à peu près de la même manière"
Mémoires du chevalier d'Arvieux, envoyé extraordinaire du Roy à la Porte, consul d'Alep, d'Alger, de Tripoli et autres Échelles du Levant : contenant ses voyages à Constantinople, dans l'Asie, la Syrie, la Palestine, l'Égypte et la Barbarie... / recueillis... de ses Mémoires originaux et mis en ordre par le R. P. Jean-Baptiste Labat,..Volume I, p.165
Disponible en version originale[vieux français] sur : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/CadresFenetre?O=NUMM-61866&M=imageseule
Un siècle plus tard, c'est au tour d'un représentant de la couronne britannique d'employer les moyens de transport de la dhimmitude.
Ainsi, Alexander Drummond, consul britannique à Alep (1771-1758) décrivit, non sans humour l’inconfort d’une telle monture lors de son passage à Famagouste(Chypre)
« Je montais une mule fournie d’un bât rembourré déchiré et ravaudé, siAlexander Drummond, Travel throught different cities of Germany, Italy, Greece and Several Parts of Asia, as far as the Banks of the Euphrates, in a Series of Letters, Londres, Strahan, 1754, p.138
encombrant, que je traînais comme un mendiant sur un sac de laine ; au lieu d’un
fouet, on me donna un bâton aiguisé, d’un pied de long, avec lequel je devais
piquer l’épaule du paresseux animal pour accélérer son pas ; des éperons
auraient été aussi inutiles qu’un fouet, car mes jambes étaient si écartées, que
je n’aurais pu approcher mon talon d’un demi-yard du flanc de l’animal. Toutes
ces circonstances rendirent mon voyage si malaisé, que je fus obligé de me
remuer de cinq cents façons avant de terminer mon voyage, qui bien que je ne
comptant pas plus de 24 milles, me fatigua autant que si j’avais parcouru plus
de cent milles par jour. Comme les Turcs ne permettent pas aux Chrétiens de
monter en ville, je fus obligé de descendre et de marcher le long du pont »
On retrouve ces mêmes conditions dans tous les textes juridiques concernant les dhimmis. Vers 1772, le cheikh al-Aldawi postulait dans sa fatwa
"Il ne convient pas, de l’avis de plusieurs ulémas, et de tous même , enAl-Adawi « Fetoua »[1772] ; Réponse à une question » tr. de l’arabe par [François-Alphonse]Belin, 1852 pp.108-109
général, que les zimmis se placent sur un pied d’égalité avec les ulémas, les
émirs et les chérifs quant aux vêtements et aux montures. Ils ne peuvent monter
ni chevaux, ni mules, ni ânes de prix ; ils ne peuvent se servir de bâts de
valeur, et les princes et les chefs de l’Etat, doivent, non seulement leur en
interdire l’usage ; mais ils sont obligés même de les châtier et de les ramener
à un état d’avilissement et d’abjection[...]on ne leur permettra pas d’élever la
voix en présence des musulmans, ni d’avoir des domestiques qui les suivent, et
encore moins qui leur fassent faire place dans le chemin. On ne leur laissera
pas porter des habits d’une étoffe fine, mais, au contraire, ils revêtiront des
vêtements grossiers et communs ; on ne leur petmettra pas de donner à leurs
maisons plus de hauteurs qu’à celles des musulmans ; il ne leur sera pas permis
non plus de les décorer à l’extérieur. C’est un devoir pour les princes
musulmans, à qui Dieu a donné l’autorité, de leur interdire toute ces choses et
de les punir et des les châtier en cas de contravention »
En 1793, Al-Damanhûri, juriste égyptien, résume la manière dont les dhimmis doivent se déplacer.
« Ni juif ni Chrétien n’a le droit de monter à cheval avec ou sans selle.Al-Damanhûri, Iqamaat al Hujja al-bahira ala hadm kana'is Misr wa-l-Qahira [1739]
Ils peuvent monter sur âne avec un bât[...] S’ils passent près d’un groupe de
Musulmans, ils doivent mettre pied à terre et ne peuvent monter[un âne] qu’en
cas d’urgence, maladie ou départ pour la campagne et leur chemin doit être rendu
étroit »
Voici comment un voyageur danois décrit cette situation en 1761 :
« Au Caire il n’est point permis aux chrétiens et aux Juifs d’aller à cheval
: ils n’osent monter des ânes, et ils sont obligés même de descendre de cette
monture, à la rencontre du moindre seigneur égyptien. Ces seigneurs paroissent
toujours à cheval, précédés d’un domestique insolent et armé d’un gros baton,
qui averti ceux qui sont montés sur des ânes, de donner au seigneur les marques
dues de respect, en leur criant, enfil [enzel], descends. Si l’infidèle n’obéit
pas sur le champ, il y est forcé à coups de bâton. Un marchand françois fut
estropié en pareille occasion ; on insulta aussi notre médecin pour n’avoir
sauté assez lestement de son âne. Par cette raison, un Européen ne peut gueres
se promener dans les rues, sans avoir un homme qui connoisse tous ces seigneurs,
et qui les lui montre à tems. Au commencement, en passant par le Caire, je me
faisais précéder par mon janissaire et suivre par mon domestique, tous deux
montés comme moi, sur des ânes. Mais essuyant l’humiliation de voir ces deux
jeunes musulmans rester sur leurs montures, pendant que j’étois forcé d’en
descendre, je prile parti de marcher à pied.
Il est vrai qu’on
pousse en Egypte plus loin que dans aucun pays de l’orient ces distinctions
ordinaires, envers les mahométans et ceux qui professent une autre religion. Les
chrétiens et les juifs doivent mettre pied à terre devant d’autres maison du
grand Kadi ; devant plus d’une vingtaine d’autres maisons, où les magistrats
rendent la justice ; devant la porte des janissaires, et devant plusieurs
mosquées. Il ne leur est pas seulement permis de passer à pied à côté de
quelques mosquées, réputées pour leur sainteté ; ni par le quartier El-Karafe,
où ils sont obligés de faire un détour pour éviter ces endroits, dont le sol
même est sacré aux yeux du peuple, qui ne souffre pas qu’il soit profané par des
pieds infidèles »
Niebhur (Karsten) Voyage de Mr Niebuhr en Arabie et en d'autres pays de L'Orient, avec l'extrait de sa description de l'Arabie et des observations de Mr Forskal, Suisse, Les librairies Associés,1780 Volume I pp 80-81
Et un voyageur anglais visitant la Palestine en 1816 :
« Toute notre route de Nazareth à Sook-el-Khan avait été plus ou moinsJames Silk Buckingham, Travels in Palestine throught the Countries of Bashan and Gilead, East of the river Jordan, including a visit to the cities of Geraza and Gamala in the Decapolis, Londres, Longman, 1821, p.457
raboteuse et vallonnée, mais, en quittant ce lieu, nous arrivâmes dans une
plaine fertile. Le long de notre chemin en cet endroit, nous rencontrâmes un
groupe de Juifs sur des ânes, allant de Tibériade au marché public, et comme ils
me prirent pour un Musulman à cause de ma robe turque et de mon turban blanc,
tous descendirent de leurs montures et passèrent près de nous à pied. Ces
persécutés sont tenus en tel mépris ici qu’il leur est interdit de rester montés
devant un Musulman, alors qu’on accepte que les Chrétiens restent sur leurs
mules et leurs ânes, quoiqu’ils ne puissent monter à cheval sans la stricte
permission du Pacha »
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