vendredi 17 mars 2006

Document : Compte rendu officiel de la rencontre entre le Mufti de Jérusalem et Hitler du 28 novembre 1941


Dans l'entre-deux-guerres puis pendant la seconde guerre mondiale, des liens idéologiques, politiques et militaires vont se créer entre les mouvements fascistes et les islamistes. L'un des épisodes les plus célèbres de cette alliance "secrète" est l'entrevue entre le Mufti de Jérusalem, Ajj Amin al-Husseini et Adolf Hitler et se déroule à la fin 1941.

Depuis quelques semaines, Hitler a constaté que la campagne de Russie ne se déroulait pas comme prévue, que la guerre serait longue et totale, et il en attribue la faute aux juifs. Il a signifié plus qu'ordonné à ses subordonnés l'extermination des juifs d'Europe.
De son côté, le parti du Mufti est en fuite. Malgré, l'aide des avions allemands, Amin Al-Husseini et ses compagnons(dont le célèbre Rachid Ali) ont échoué à renverser définitivement le gouvernement pro-britannique en Irak. Après s'être réfugié en Iran, Al -Husseini et sa suite passent en Turquie avant de gagner l'Europe. Ses aventures irakiennes lui permettent de se poser maintenant comme le chef d'un mouvement national s'étendant sur l'ensemble du monde arabe, du Golfe à l'Océan.
C'est dans ce contexte que le 28 novembre 1941, Hitler reçoit le Mufti Al-Husseini.







Compte rendu officiel de la rencontre est dû à l'interprète allemand Schmitt(le mufti s'exprimant en français) :


«
Le Grand Mufti commença par remercier le Führer pour le grand honneur qu’il lui avait fait en le recevant. Il souhaitait saisir l’occasion pour apporter au Führer de la Grande Allemagne, admiré par l’ensemble du monde arabe, ses remerciements pour la sympathie qu’il avait toujours montrée pour les Arabes et spécialement pour la cause palestinienne, et don il avait donné une claire expression dans ses discours publics. Les pays arabes étaient fermement convaincus que l’Allemagne gagnerait la guerre et que la causer arabe alors en profiterait. Les arabes étaient les amis naturels de l’Allemagne parce qu’ils avaient les mêmes ennemis que l’Allemagne, nommément les Anglais, les Juifs et les communistes. C’est pourquoi ils étaient préparés à coopérer avec l’Allemagne, de tous leurs coeurs, et se tenaient prêt à participer à la guerre non seulement négativement par l’organisation d’actes de sabotages et la préparation de révolutions, mais aussi positivement par la formation d’une légion arabe. Les Arabes pouvaient être utiles à l’Allemagne comme alliés qu’on pourrait le penser au premier regard, à la fois pour des raisons géographiques et pour les souffrances que leur ont infligées les Anglais et les Juifs. De plus, ils ont de bonnes relations avec toutes les nations musulmanes, ce qui pourrait être utilisé au profit de la cause commune. La légion arabe serait facile à lever. Un appel du Mufti aux pays arabes et aux prisonniers de nationalités arabes , algériennes, tunisiennes et marocaines, en Allemagne, produirait un grand nombre de volontaires prêts à combattre. Les Arabes étaient convaincus de la victoire de l’Allemagne, non seulement parce [que]le Reich possédait une importante armée , des soldats courageux et des chefs militaires de génie, mais aussi parce que le Tout-Puissant ne pouvait jamais accorder la victoire à une cause injuste.
« Dans ce combat, les Arabes recherchaient l’indépendance et l’unité de la Palestine de la Syrie et de l’Irak. Ils avaient la plus totale confiance dans le Führer et voyaient dans sa main le baume des blessures qui leur avaient été infligées par les ennemis de l’Allemagne.
« Le Mufti mentionna alors la lettre qu’il avait reçu d’Allemagne, qui déclarait que l’Allemagne ne revendiquait aucun territoire arabe, comprenait et reconnaissait les aspirations à l’indépendance et à la liberté des Arabes comme elle soutenait l’élimination du Foyer national juif.
« Une déclaration publique dans ce sens serait très utile pour ses effets de propagande sur les peuples arabes en ce moment. Cela tirerait les Arabes de leurs léthargies momentanée et leur donnerait un nouveau courage. Cela faciliterait le travail du Mufti d’organiser secrètement les Arabes jusqu’au moment où ils pourraient frapper patiemment avec une discipline stricte le moment juste et frapperaient seulement sur une ordre venu de Berlin.
« En ce qui concerne les événements d’Irak, le Mufti observait que les Arabes dans ce pays n’avaient pas, en aucune façon, été incités par l’Allemagne d’attaquer l’Angleterre, mais qu’ils avaient juste agi en réaction à un assaut direct anglais sur leurs honneurs.
« Les Turcs croyait-il, accueilleraient l’établissement d’un gouvernement arabe dans leur voisinage parce qu’ils préféraient un gouvernement arabe plus faible que celui des puissances européennes et qu’étant eux-mêmes une nation de 7 millions, ils auraient de fait rien à craindre des 1,7 millions d’Arabes habitant la Syrie, la Transjordanie, l’Irak et la Palestine.
« La France cependant n’aurait pas d’objections à l’unification puisqu’elle a concédé l’indépendance à la Syrie dès 1936, et avait donné son approbation à l’unification de l’Irak et de la Syrie sous le roi Fayçal dès 1933.
« Dans ces circonstances, il renouvelait sa demande que le Führer fasse une déclaration publique afin que les Arabes ne perdent pas l’espoir, qui est une force si puissante dans la vie des nations. Avec un tel espoir dans les coeurs, les Arabes, disait-il, auraient la volonté d’attendre. Ils ne poussaient pas à une immédiate réalisation de leurs aspirations ; ils pouvaient facilement attendre une demi-année ou une année entière. Mais s’ils n’étaient pas inspirés d’un tel espoir par une déclaration de ce genre, on pourrait s’attendre à ce que les Anglais soient les gagnants de cette situation.
« Le Führer répliqua que l’attitude fondamentale de l’Allemagne dans cette question, comme le Mufti l’avait déjà déclaré, était claire. La position de l’Allemagne était une guerre sans compromis contre les Juifs. Cela incluait naturellement une opposition active au foyer national juif en Palestine. , qui n’était rien d’autre qu’un centre, sous la forme d’un Etat, servant à l’influence destructrice des intérêts juifs. L’Allemagne savait aussi que l’affirmation que les Juifs accomplissaient une fonction de pionniers économiques en Palestine était un mensonge. Le travail avait été seulement le fait des Arabes et non des Juifs. L’Allemagne était résolue, pas à pas, de demander à une nation européenne après l’autre, de résoudre son problème juif, et au moment approprié il y aurait aussi un appel similaire aux nations non européennes.
« L’Allemagne était à présent engagée dans un combat de vice et de mort avec les deux citadelles du pouvoir juif : la Grande-Bretagne et la Russie soviétique. Théoriquement il y avait une différence entre le capitalisme de l’Angleterre et le communisme de la Russie soviétique ; en fait, cependant, les juifs dans les deux pays partageaient un but commun.
C’était un combat décisif ; sur le plan politique, cela se présentait principalement comme un conflit entre l’Allemagne et l’Angleterre, mais idéologiquement c’était une bataille entre le national-socialisme et les Juifs. Cela allait sans dire que l’Allemagne apporterait une aide positive et pratique aux Arabes engagés dans ce même combat, mais parce que les promesses platoniques étaient sans effet dans une guerre pour la survie ou la destruction, dans laquelle les Juifs étaient capables de mobiliser tout le pouvoir de l’Angleterre pour leurs fins[sic]
« L’aide aux Arabes devrait être une aide matérielle. Combien les sympathies seules étaient d’une faible aide dans un telle bataille avait été démontré clairement par les opérations en Irak, où les circonstances n’avaient pas permis d’apporter une aide réellement effective, pratique. En dépit de ses sympathies, l’aide allemande n’avait pas été suffisante et l’Irak avait succombé face au pouvoir de la Grande-Bretagne qui est le protecteur des Juifs.
« Cependant, le Mufti savait bien que le résultat du combat en cours déciderait aussi du destin du monde arabe. C’est pourquoi le Führer devait penser et parler froidement, délibérément, comme un homme rationnel et avant tout comme un soldat, comme le chef des armées allemandes et alliées. Tout ce qui était de nature à aider dans ce combat titanesque pour la cause commune, qui est celle des Arabes, devrait être fait. Cependant, un élément qui pourrait contribuer à affaiblir la situation militaire devrait être écarté, sans qu’on tienne compte de l’impopularité que cet acte pourrait causer.
« L’Allemagne était maintenant engagée dans de très dures batailles pour forcer l’accès à la région du nord du Caucase. Les difficultés étaient principalement dues au maintien de l’approvisionnement, qui était du plus difficile en raison de la destruction des chemins de fer et des routes, aussi bien que de la prochaine arrivée de l’hiver. Si, dans un tel moment, le Führer devait porter la question de la Syrie dans une déclaration, les éléments en France qui étaient sous l’influence de De Gaulle recevraient une nouvelle force. Ils interpréteraient la déclaration du Führer comme une intention de démembrer l’empire colonial de la France, et appelleraient leurs concitoyens à faire cause commune avec les Anglais pour essayer de sauver ce qui pouvait être encore sauvé. Une déclaration allemande concernant la Syrie serait compris en France comme concernant l’ensemble des colonies françaises et créerait en ce moment de nouveaux troubles en Europe occidentale, ce qui signifierait qu’une partie des forces armées allemandes serait immobilisée à l’Ouest et ne serait plus disponible pour la campagne à l’Est.
« Le Führer fait alors la déclaration suivante au Mufti lui enjoignant de la tenir au secret dans le plus profond de son coeur :

«1)Il (le Führer) poursuivrait la bataille jusqu’à la totale destruction de l’empire judéo-communiste en Europe.
«2)A un moment qu’il n’est pas encore possible de fixer exactement aujourd’hui mais qui, n’importe comment, n’était pas trop loin, les armés allemandes devraient atteindre la porte sud du Caucase.
«3)Aussitôt que cela se produira, le Führer donnerait de son propre mouvement au monde arabe l’assurance que l’heure de sa libération est arrivée. L’objectif de l’Allemagne serait seulement la destruction de l’élément juif résidant dans l’espace arabe sous la protection de la puissance britannique. A cette heure, le Mufti serait le porte-parole le plus autorisé du monde arabe. Ce serait sa tâche de lancer les opérations qu’il avait secrètement préparées. Quand ce moment viendra, l’Allemagne pourrait être indifférente à la réaction française à une telle déclaration.
« Une fois que l’Allemagne aura forcé l’ouverture de la route pour l’Iran et l’Irak par Rostov, ce serait le commencement de la fin l’empire britannique. Lui(le Führer) espérait que l’année prochaine, il devrait être possible pour l’Allemagne d’ouvrir la porte caucasienne du Moyen-Orient. Pour le bien de la cause commune, il serait préférable que la proclamation arabe soit mise de côté pour quelques mois de plus , sinon l’Allemagne se créerait des difficultés sans que cela puisse apporter quoique ce soit d’utile pour les Arabes.
«Il (le Führer) comprenait complètement l’impatience des Arabes d’avoir une déclaration publique du genre demandé par la Mufti, mais il demandait à celui-ci de considérer que lui-même(le Führer) avait été le chef de l’Etat du Reich allemand durant cinq longues années au cours desquelles il avait été incapables de faire, dans sa propre patrie, l’annonce de sa libération. Il avait dû attendre jusqu’au moment où l’annonce puisse être faite sur la base de la situation crées par la force des armes permettant d’accomplir l’Anchluss.
Au moment où les divisions blindées et les escadrons aériens apparaîtront au sud du Caucase, l’appel public, demandé par le Grand Mufti sera fait au monde arabe.
« Le Grand Mufti répliqua qu’à son opinion tout se passera juste comme le Führer l’a indiqué. Il était pleinement réassuré et satisfait des paroles qu’il venait d’entendre de la part du Chef, secrètement au moins, d’arriver à un accord avec l’Allemagne de la nature qu’il avait juste souligné au Führer.
« Le Führer répondit qu’il avait justement donné à l’instant au Grand Mufti précisément cette déclaration confidentielle.
« Le Grand Mufti l’en remercia et déclara en conclusion qu’il prenait congé du Führer avec une pleine confiance et des remerciements réitérés de l’intérêt montré pour la cause arabe
. »



Documents on German Foreign Policy, série D, vol.XIII, p.560, Londres, Her Majesty's Stationery Office, 1964, p.881-885.
cité in Henry Laurens L'orient arabe, Arabisme et islamisme de 1789 à 1945, Paris, Armand Colin/S.E.J.R, 2004, p. 308 et sqq

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